Histoire d'une marque

L’histoire de la marque que vous m’avez demandé de lancer

Une passion mais pas un métier

Rien ne me prédestinait à créer des patrons de couture, et encore moins à lancer French Poetry. Ce n’est pas mon métier, et j’ai un métier qui me plaît. Je travaille dans un cabinet de conseil, et j’aide les directions de grandes entreprises à définir leur stratégie pour se transformer : comment devenir ou rester leaders dans leur secteur dans 3 ans, dans 5 ans. Mes semaines sont longues, je me déplace beaucoup à l’étranger. J’aime ça. Quand j’étais petite je regardais passer les lumières des avions dans le ciel nocturne, la tête renversée en arrière, et je me demandais où ils allaient. J’enviais les passagers et je me promettais qu’un jour ce serait moi, avec ma petite valise cabine, qui partirais vers des capitales lointaines « pour faire des affaires ».

Mais j’ai besoin de créativité. C’est comme une respiration nécessaire pour mon cerveau et mes mains. Je trouve cette respiration dans l’écriture et dans la couture. L’écriture, parce que l’esprit est libre, et la couture, parce que je ne pense pas consciemment. Je fais. Comme je ne sais pas faire une seule chose à la fois (je suis hyperactive – vraiment hyperactive, au point de n’avoir jamais pu suivre en classe, mais je ne le vois pas toujours comme un désavantage), j’écoute en même temps des podcasts. Parfois ce sont des livres audio. Je voyage…

En dix ans j’ai vu disparaître puis renaître la couture

J’ai toujours cousu, d’aussi loin que je m’en souvienne. Petite, je regardais faire ma grand-mère paternelle, professeur de coupe et de couture. Elle ne m’a pas appris à coudre à proprement parler, je n’avais que cinq ou six ans. Mais je la regardais faire et je m’imprégnais inconsciemment de ses techniques. Combien de fois, ces dernières années, ai-je redécouvert une technique en me disant : « mais oui, bien sûr, elle faisait comme ça ! ».

Je récupérais les chutes de ses vêtements. Avec les tissus épais aux couleurs automnales dont elle faisait des manteaux, je cousais des écureuils en peluche. C’était mon animal préféré. Je n’avais pas de patron, j’inventais des formes. Cela ne ressemblait d’abord à rien, puis le dixième était réussi. Je n’ai jamais vu ma grand-mère utiliser un patron de couture du commerce : c’était son métier, elle les réalisait elle-même. Je ne sais pas si c’est de là que me vient mon habitude de créer des patrons, ou de mon indiscipline… Elle me trouvait têtue, lorsqu’en grandissant je continuais à n’en faire qu’à ma tête, sans suivre ni patrons ni règles. Mais j’y ai au moins gagné le fait de ne pas être effrayée par l’expérimentation ! Il faut dire aussi qu’à l’époque, le marché des patrons de couture était régi par un oligopole Burda, Simplicity, Vogue, Butterick, et que le choix n’était pas incroyable. Ni les patrons ni les tissus ne ressemblaient à la mode du prêt-à-porter – et c’était terriblement ringard.

Puis j’ai vu fermer les uns après les autres les magasins de tissu et les merceries. Bouchara, par exemple, et toutes ces petites boutiques de quartier près de chez moi : l’Art du fil, le Bonheur des dames… Le prêt-à-porter était roi, la consommation de masse dominait. Et le savoir s’était perdu.

Instagram, le renouveau de la couture avec une communauté mondiale

La renaissance de la couture s’est faite en ligne. J’ai d’abord vu des magasins de tissu, à l’étranger pour commencer. Je payais des frais de transport et de douane, mais les tissus étaient magnifiques. Mon magasin préféré était Tessuti, en Australie, mais il y avait aussi Mood Fabrics, par exemple. Il y a cinq ans quelques blogs s’étaient ouverts pour montrer des réalisations : la couture revenait timidement à la mode. Les coupes étaient simples, on débutait. Mais vu le peu de choix de tissus disponibles, beaucoup de réalisations sentaient le « fait maison » dans le mauvais sens du terme. J’étais donc stupéfaite en 2018 de découvrir que tout cela avait changé grâce à Internet. Chaque semaine je voyais s’ouvrir de nouveaux magasins de tissus et merceries en ligne, avec un choix phénoménal.

Le rendez-vous de la communauté était Instagram. Alors je me suis créé un compte Instagram pour partager des photos de mes propres créations. Je prenais d’obscurs selfies devant mon miroir. Mais j’avais des likes ! J’en ai eu de plus en plus. On me demandait d’où venaient mes patrons. J’ai alors remarqué que toutes les autres couturières indiquaient le patron qu’elles avaient utilisé en mentionnant le nom du créateur, ainsi que les références du tissu. Comme les influenceuses de prêt-à-porter qui indiquent les marques de leurs vêtements, les influenceuses couture donnent toutes les indications pour recréer les mêmes tenues qu’elles. C’est logique, mais je n’y avais pas pensé. Je découvrais une communauté mondiale : des Américaines, des Australiennes, des Japonaises, des Russes toutes plus douées en couture les unes que les autres. Des hashtags aussi, où suivre les plus belles créations.

Quelques-uns de mes hashtags préférés : #coutureaddict#cousumain #memadeeveryday#handmadewardrobe #passioncouture#memadewardrobe 

Comment Instagram m’a poussée à lancer French Poetry

Je recevais des messages contenant un peu de frustration. Comme je dessinais mes patrons moi-même et que je ne les commercialisais pas, les instagrammeuses ne pouvaient pas créer les mêmes vêtements. J’en étais désolée, mais comme je le leur répétais, je n’avais jamais créé quoi que ce soit pour d’autres mensurations que les miennes. Mais les messages ne cessaient pas et ne venaient pas seulement de France. J’ai commencé par me mettre à écrire en anglais mes légendes de photos.

Je savais que le modélisme était une formation et ne s’improvisait pas. Je savais aussi qu’outre l’apprentissage de la gradation des tailles, il fallait maîtriser des logiciels assez complexes pour le débutant. Il fallait numériser les patrons puis les transformer en fichiers imprimables en A0 ou A4. Puis il fallait aussi illustrer les explications. J’avais déjà des semaines de bien plus de 40h. Mais plus j’y réfléchissais plus je me disais que j’aime mener plusieurs projets à la fois. Je sentais que si je ne le faisais pas, au moins pour essayer, je le regretterais. Alors, un jour, je me suis lancée.

Naissance d’un nom de marque

La marque ne s’appelait pas French Poetry au départ. Trouver un nom de marque, c’est très difficile, pour moi en tout cas. Il faut un nom qui ne soit utilisé par personne, et comme si cela ne suffisait pas (j’ai l’impression que TOUS les mots du dictionnaire sont utilisés) il faut que ce nom ne puisse pas être confondu, ni visuellement ni à l’écoute, avec celui d’une autre marque. Je voulais l’appeler Liberté, mais cela n’a pas été possible : ce nom m’a trotté dans la tête pendant des mois, et le temps que je me décide, quelqu’un d’autre l’a déposé.

Pendant quelques jours j’ai cherché de façon quasi obsessionnelle un nom de marque – tout ce que j’avais sous les yeux y passait. Orange ? Déjà pris. Chaise ? Nul. Blandine ? Non, je ne voulais pas utiliser mon nom. Finalement, je ne sais pas d’où est sorti le nom French Poetry. Il a surgi dans mon esprit comme une évidence. C’est ce qu’on dit toujours, je le sais, et c’est encore plus rageant à entendre quand on n’a pas encore trouvé.

Quelques formalités, beaucoup d’apprentissage…

Après avoir vérifié que le nom de domaine en .fr était disponible, j’ai déposé la marque à l’INPI avec l’aide d’un avocat (nécessaire, si vous vous posiez la question – déposer seul une marque serait à peu près du même ordre qu’acheter une prothèse dentaire et se la poser soi-même sans passer par un dentiste !). Puis je me suis lancée. Beaucoup d’essais et d’erreurs, de tests de logiciels coûteux, une première version du site sous Prestashop qui ne me convenait pas du tout et pour laquelle j’avais payé cher plusieurs plugins. Mais finalement, c’était dans mon ADN : étudiante, j’étais web developer à mes heures perdues, après avoir appris à coder par passion. Je sais donc créer un site, même si j’ai dû me remettre à jour sur de nombreux points. Tout change si vite en la matière…

Le plus long fut de concevoir le tout premier patron de French Poetry, celui que les instagrammeuses me demandaient après l’avoir vu sur moi plusieurs fois : la robe Pléiades. Cette robe est la base de ma garde-robe, hiver comme été. Mais j’étais loin de deviner le succès qui l’attendait, et qui m’émerveille encore. Je vous en parlerai dans un prochain article !

French Poetry, une passion qui doit le rester

Bien sûr l’idée m’a parfois traversé l’esprit : si French Poetry marche bien, cela doit-il devenir mon métier à plein temps ? Aujourd’hui en tout cas, la réponse est résolument non. Comme je le disais plus haut, j’aime mon métier actuel. Et aussi, je développerai peut-être cela une autre fois, mais je n’aime pas l’idée souvent imposée qu’une passion doit devenir un métier. « Tu devrais ouvrir un restaurant ! » dit-on aux gens qui cuisinent bien. C’est souvent pensé comme un compliment et c’est gentil. Mais dans la réalité, cela ne fonctionne pas forcément. Il m’est déjà arrivé de vouloir faire d’une passion un métier (quand je suis devenue web développeur). Et soudainement cela a cessé d’être une passion… pour devenir un métier.

Je ne suis créative que quand je parviens à m’abstraire des tracasseries de gestion du quotidien. Sinon, mon esprit vagabonde vers un autre sujet qui devient ma nouvelle passion. Alors, je dois faire des choix pour French Poetry : si je reste seule à gérer cette activité, je ne veux pas passer du temps à emballer et poster des patrons papier, par exemple. Et parfois je peux disparaître quelque temps d’Instagram, parce que le boulot, et la vie, m’occupent. Je préfère utiliser mon temps pour la création de nouveaux modèles. Pour cela, pas d’inquiétude, j’aurai toujours de l’inspiration !

Je voulais raconter cette histoire dès son commencement, même si je ne sais pas vers quoi elle se dirige. J’essaierai d’écrire régulièrement pour en tenir un journal. N’hésitez pas à me poser des questions, si vous en avez 🙂

En attendant, merci à toutes, qui avez rendu possible cette aventure que je n’imaginais pas…

8 commentaires sur “L’histoire de la marque que vous m’avez demandé de lancer

  1. blikelyd dit :

    Il y a en effet beaucoup de poésie dans vos créations. Je viens de découvrir votre collection et je suis littéralement sous le charme. La marque « frenchpoetry évoque une invitation au théâtre, comme à la belle époque. C’est fabuleux! Votre parcours « couturistique » est l’histoire d’une passion authentique! Pleins succès dans cette entreprise!!!

    1. Blandine dit :

      Merci pour votre gentil message ! Il m’est précieux 🙂

  2. Buhle Mbambo dit :

    I’m in Cape Town and I just found your site, and I love your designs!!! Definitely purchasing two maybe even three to make. So glad you decided to share your designs with the rest of the world!

  3. Marclay dit :

    C’est un joli récit à lire, bravo pour votre énergie et votre belle créativité!! J’ai acheté du tissu en prévision d’une pleiade1. J’attends d avoir fini mes cousettes en cours pour attaquer.

  4. Isabelle dit :

    J’ai adoré vous lire… Quelle maturité dans votre réflexion et que de délicatesse dans vos créations. Merci de partager votre univers…

    1. Blandine dit :

      Merci beaucoup Isabelle ! Je suis très touchée.

  5. Myriam dit :

    Bonjour Blandine,
    Merci pour vos créations délicates, et c’est vrai, oui… pleines de poésie !
    Je suis heureuse de lire votre parcours : vous êtes libre intérieurement et ça se sent ! Le mot ‘liberté ‘ vous va très bien oui !
    On a envie de s’envoler vers les cieux avec vos robes.

    1. Blandine dit :

      Merci Myriam pour votre gentil message 🙂
      Oui, c’est vrai, la liberté n’a pas de prix… Et être vivant c’est être libre !
      Bonne soirée !

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